Crise de l’immersion : une bonne affaire pour les conseils scolaires francophones?

La pénurie d'enseignants de langue française dans les programmes d'immersion pourrait se traduire par un surplus d'élèves dans les écoles francophones de l'Ontario.
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Prenez note que cet article publié en 2018 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La fermeture de plusieurs programmes d'immersion française pourrait se traduire par une hausse du nombre d'élèves dans les écoles francophones de l'Ontario, un phénomène qui pourrait ne pas être aussi positif qu'il en a l'air.
Un texte de Marine Lefèvre et Camille Feireisen
À l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO), on suit de près l’évolution de la situation dans les programmes d’immersion de la province. Selon Denis Chartrand, président de l’organisme, de nombreux ayants droit fréquentent les programmes d’immersion plutôt que les écoles de langue française. La fermeture de ces programmes serait donc plutôt une bonne nouvelle, estime-t-il.
« Si les gens se prévalaient de leur droit de venir dans nos écoles, on aurait quelques problèmes d’espace, mais c’est un beau problème à avoir, dans le sens où on ramènerait des élèves de langue française non pas dans des écoles qui enseignent le français, mais dans des écoles où on vit en français, y compris la culture », explique le président de l'ACÉPO.
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Cet afflux aurait toutefois un coût.
« 90 % des écoles de langue française laïques sont déjà pleines à craquer. Si on avait des inscriptions supplémentaires, il faudrait ouvrir de nouvelles écoles », note Denis Chartrand.
Ce serait aussi un moyen d'obtenir du financement supplémentaire du gouvernement.
« Il y a plusieurs régions en Ontario où il n'y a pas d'écoles françaises. Ça pourrait nous aider dans nos plans d'affaires auprès du ministère de l'Éducation », explique pour sa part Jean-François L'heureux, vice-président de l'ACÉPO.
Le directeur général de l'Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques, Benoit Mercier, croit également que l'inscription de ces élèves serait bénéfique pour les écoles françaises.
Celui-ci ne perd cependant pas de vue les raisons qui expliquent cette situation : la pénurie d’enseignants francophones qualifiés, un phénomène qui guette aussi les écoles de langue française.

Des aides-enseignants au Nouveau-Brunswick sont victimes de violence.
Photo : iStock
Pénurie généralisée d'enseignants en langue française
« Le Manitoba, l’Alberta et les autres provinces viennent chercher nos finissants ici en Ontario. C’est donc un problème assez grave », explique M. Mercier.
La relève en éducation de langue française constitue en effet un enjeu partout au pays.
Le problème est d’ailleurs tellement criant qu’un projet de recherche pour trouver des solutions à la pénurie de personnel enseignant dans les écoles francophones en milieu minoritaire au Canada vient d’être lancé par la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants (FCE).
Pour Sara Lafrance, directrice par intérim des Services aux francophones à la FCE, les besoins dans le domaine ne sont pas nouveaux. Selon elle, ils ont surgi il y a une quinzaine d’années dans certaines régions. Il était alors possible de compenser les manques en allant chercher des candidats ailleurs. « On a vu la pénurie s’installer et on n’a rien fait », dit-elle.
Maintenant, même dans les provinces et les territoires où il y avait un surplus d’enseignants, ce surplus s’est asséché. Les gens ont beaucoup de difficulté à trouver du personnel enseignant, ils viennent dans les universités. Les jeunes n’ont même pas encore terminé leur bac qu’ils sont déjà préembauchés.
Grâce à cette recherche, menée en partenariat avec l’Université d’Ottawa, Mme Lafrance espère trouver des solutions locales à un problème pancanadien.
« Ce n’est pas facile d’enseigner en milieu minoritaire, ce ne sont pas les mêmes conditions. Beaucoup s’adaptent et étudient la pédagogie de langue française. Ils lisent beaucoup pour devenir des enseignants qui vont mieux comprendre leur milieu minoritaire, mais c’est un apprentissage supplémentaire », poursuit Mme Lafrance.
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Pendant des décennies, ce sont des enseignants provenant du Québec qui ont comblé les places disponibles ailleurs au pays, notamment en Ontario.
Mais on ne peut pas compter sur le Québec pour sauver le reste du Canada, donc je pense qu’en faisant cette recherche, en devenant autosuffisants et en formant nos enseignants, il y aura des façons de faire.
En Ontario, les représentants des conseils scolaires de langue française espèrent que la question fera partie des débats lors de la campagne électorale à venir dans les prochaines semaines, en vue des élections du 7 juin.
Un autre enjeu qu’ils souhaitent voir discuter est la pertinence de l’allongement de la formation des enseignants, qui est passé de un an à deux ans en 2015.
Ce prolongement, qui vise à offrir une formation plus approfondie, a aussi été instauré afin de juguler le surplus de candidats dans les facultés d’éducation des universités anglophones. Or, le résultat immédiat pour les écoles francophones a été de rendre encore plus compliqué un recrutement déjà difficile de nouveaux enseignants.
« Cela a créé une sorte de bouchon, explique Benoit Mercier. Une évaluation de son efficacité est donc nécessaire pour voir si cela a été un succès ou non », estime-t-il.
Mieux allouer les ressources
Mais s’il manque d’enseignants qualifiés dans les écoles francophones, à quel point récupérer les élèves des programmes d’immersion est-il vraiment possible?
Pour Denis Chartrand, si la pénurie concerne toutes les écoles de langue française en Ontario, la situation est surtout critique dans le nord et le sud de la province.
Selon lui, il pourrait même être envisageable de changer la loi scolaire afin de rapatrier les programmes d’immersion française dans les écoles francophones.
« Qui d’autres seraient mieux préparés à offrir ces cours que nous? Cela nous ferait plaisir de le faire », souligne-t-il.

Le «franglais» ne menacerait pas le français selon une étude.
Photo : Radio-Canada / Simon Blais
Est-ce alors une question d’allocation des ressources? C’est ce que croit Gilles LeVasseur, professeur de droit et de gestion à l'Université d'Ottawa .
D'après lui, lorsque les conseils scolaires francophones ont été créés, en 1998, la question des programmes d’immersion s’est posée. Est-ce que ces programmes devaient revenir aux conseils anglophones ou aux conseils francophones? Ces derniers ont refusé de les accueillir dans leurs écoles afin de préserver l’identité francophone de leurs établissements.
« En vertu de l’article 23 de la Charte [canadienne des droits et libertés], les francophones de l’Ontario voulaient avoir la gestion des conseils scolaires et du contenu en français. Ils ne voulaient pas faire de l’immersion et inclure des anglophones dans le système scolaire francophone », explique-t-il.
Mais aujourd’hui, la donne a changé, croit M. LeVasseur.
Il faut maximiser les ressources et les outils. Il faut trouver des modèles pour être en mesure de rentabiliser le système.
Dès lors, il serait possible d'envisager des partenariats dans le cadre desquels les programmes d’immersion pourraient être offerts par un conseil scolaire francophone ou anglophone en fonction des ressources humaines ou financières.
« Dans certaines régions, cette cohabitation pourrait être la planche de salut de la survie de conseils scolaires. Dans des régions plus éloignées, on a un très haut taux d’assimilation, c'est parfois les programmes d’immersion qui permettent de véhiculer la qualité du français », conclut M. LeVasseur.